Une tragédie possible : Corinne, ou l’Italie et Roméo et Juliette


Location: Paris 7 Diderot, Paris

A la fin de Corinne, ou l’Italie, le prince Castel-Forte révèle deux portraits de l’héroïne du roman à son ancien amant, Oswald : le premier la montre « telle qu’elle avait paru dans le premier acte de Roméo et Juliette » et l’autre « telle qu’elle avait voulu se faire peindre cette année même en robe noire, […] pâle comme la mort, les yeux demi fermés.» Oswald voit ainsi le tort qu’il a fait à Corinne ; il se trouve face à l’image de deux tragédies différentes, celle de Shakespeare et celle qui s’est réellement produite. Cette communication suggère que ces deux portraits offrent une manière de comprendre le rôle de Shakespeare, et surtout de Roméo et Juliette, sa pièce la plus italienne, dans le roman de Staël : cette pièce doit être comprise comme l’histoire que Corinne, ou l’Italie aurait pu être.

La représentation de Roméo et Juliette, traduit par Corinne elle-même, marque un moment d’équilibre dans le roman, où les cultures italienne et anglaise se rencontrent, où le talent de Corinne apparaît dans tout son éclat et où Oswald se sent « le plus d’entraînement pour elle ». Comme des lecteurs contemporains du roman l’ont remarqué, cette description de la pièce de Shakespeare est cependant incomplète et partiale : elle se concentre sur le jeu de Corinne/Juliette et se termine quand Oswald quitte la salle, avant la mort de l’héroïne. Même dans l’espace du jeu théâtral, le roman évoque Roméo et Juliette mais ne suit pas la tragédie à la lettre. Dans les chapitres et livres qui suivent cet épisode, on retrouve les grands motifs de Roméo et Juliette (le destin funeste, le fait d’être prêt à mourir par amour) à plusieurs reprises mais il devient de plus en plus clair que l’on a affaire à deux types de tragédies différents. A la fin du roman, le destin réclame la mort de Corinne seulement, vieillie et seule, tandis qu’une nouvelle Juliette apparaît sous les traits de la fille d’Oswald et Lucile. En outre, Roméo et Juliette est loin d’être le seul point de référence shakespearien pour l’histoire du roman: Oswald n’est pas seulement comparé à Roméo mais aussi à Hamlet et Macbeth. En revanche les deux portraits de Castel-Forte ne nous laissent pas oublier l’importance de Roméo et Juliette, même si ce sont surtout les différences entre le roman et la pièce qui comptent. La fin de Corinne paraît amère en comparaison de la mort éclatante de Juliette, qui constitue un horizon possible du personnage mais lui est finalement refusée.”